Mois: novembre 2017

Témoignage du p. Jean Christophe sur le p. MD Philippe : son esprit (partie 4)

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La pauvreté : bien qu’il nous rappelât parfois l’exigence de la pauvreté matérielle (par exemple l’histoire de Saint Dominique qui, avant de mourir, maudissait ses frères qui construiraient de trop beaux couvents), ce n’était pas le plus important pour lui. Il était même très souple par rapport à cela. En 2000, lors du grand pèlerinage de la Communauté à Rome, quand on lui a dit qu’on avait peur que ça coûte trop cher, il a répondu : « C’est le parfum d’un grand prix versé sur les pieds de Jésus ! » L’argent était pour lui totalement relatif aux choses vraiment importantes.

Par contre, il ne cessait de parler de la pauvreté spirituelle, dont il disait qu’elle consistait à n’avoir aucun droit, et il en vivait radicalement : il ne réclamait jamais, ne se plaignait jamais, et semblait accepter tout ce qui lui arrivait, notamment de la part de ses frères, comme un appel de l’Esprit-Saint (avec discernement, évidemment). Je trouve que c’était une des choses les plus impressionnantes chez lui.

L’obéissance : le père distinguait, pour la vie religieuse, une obéissance de type « jésuite » (très absolue) d’une autre de type « dominicain », où le religieux qui obéit met davantage son intelligence au service de l’accomplissement de la volonté de Dieu; c’est  évidemment de cette dernière qu’il souhaitait que nous vivions. Comme supérieur, il n’imposait pas son autorité, il gouvernait plutôt par mode de demande (ce qui pouvait être ressenti comme très impératif par certains frères). Un frère m’a raconté que le père Marie-Dominique lui avait demandé un jour de partir en Corée, et qu’il avait refusé ; le père n’était pas content, mais il ne le lui a pas imposé. Nous savions qu’il exerçait sa charge de supérieur dans un esprit de service et non de domination.

Même s’il ne négligeait pas l’obéissance au supérieur demandée par la vie religieuse, ce qui était le plus important pour lui c’était l’obéissance à l’Esprit-Saint. Il disait sans cesse : « accomplir jusqu’au bout la volonté du Père ». Et il demandait, comme quelque chose d’important, que chaque frère ait un père spirituel pour l’aider à vivre dans cette docilité à l’Esprit-Saint.

Lui-même a obéi, et son obéissance a porté des fruits incroyables : il a commencé à enseigner la philosophie par obéissance (il souhaitait enseigner la théologie). Il a rencontré le Cardinal Wojtila en allant participer à un congrès thomiste par obéissance, et d’une certaine manière, il a accepté de fonder la Communauté Saint-Jean par obéissance à ce que Marthe Robin lui disait de la part de Jésus. Mais c’était une obéissance pleinement responsable, dans laquelle il ne cherchait qu’à accomplir la volonté de Dieu, et non celle du supérieur. Un frère a rapporté qu’une fois où son supérieur dominicain voulait l’envoyer dans autre lieu, il a répondu à peu près ceci : « Oui, si vous prenez avec moi la responsabilité des personnes que je suis spirituellement et que je ne pourrai plus suivre. » Du coup, son supérieur l’a laissé où il était. Et en 1998, il a accepté d’être réélu prieur général, allant clairement et consciemment contre la volonté de Monseigneur Séguy, qui souhaitait qu’il passe cette charge à un frère.

La vie apostolique : il avait un grand zèle apostolique, et même après la fondation de la Communauté Saint-Jean il a gardé une certaine vie apostolique extérieure à la communauté. Lors de la crise de 2001-2002, il insistait sur le fait que nous sommes des apôtres, et non des professeurs de théologie, que tous les frères devaient être des apôtres et que la recherche théologique devait être liée à vie apostolique. Je crois que la question s’est posée dans les années 80 de fonder une branche de frères purement contemplatifs, mais cela n’a pas été retenu. Sans doute parce que le père Marie-Dominique ne le souhaitait pas ? Il nous a voulu vraiment comme des apôtres, comme le sont les dominicains, c’est un aspect essentiel de notre vie et de notre sainteté. En même temps, il nous a toujours mis en garde contre ce qu’il appelait « l’agitation », notamment l’agitation des apôtres qui ne sont pas assez contemplatifs ; « le démon est le prince de l’agitation… »

Le retour du Christ : il en parlait beaucoup, même si c’était sous mode d’interrogation : « Est,-ce que Vatican II, le concile de la charité fraternelle, où l’Eglise ne condamne plus, n’est pas le début de la dernière semaine de l’Eglise sur la terre, à la suite du Christ ? » Un certain nombre de choses étaient pour lui signes de la fin des temps, notamment l’angoisse généralisée (comme le montre le livre de l’Apocalypse), et il nous rappelait souvent que Vatican II demande que nous soyons attentifs aux signes des temps. Et surtout, il voulait que nous hâtions le retour du Christ par notre désir. Mais les dernières années il me semble qu’il en parlait moins, peut-être parce qu’il avait l’impression que ça ne plaisait pas à certains ? Il m’a dit en privé, en 2001 : « Maintenant que le Jubilé de l’an 2000 est passé, plus personne ne pense au retour du Christ… eh bien, il reviendra comme un voleur ! »

Joie, fatigue et souffrance : en plus de toute la fatigue dont j’ai parlé ci-dessus, le père avait à supporter dans son corps un grand nombre de souffrances physiques diverses, certaines dues à des accidents de voitures ou autres, et dont un frère a fait une fois la liste, très impressionnante… Par exemple, quand il avait perdu sa voix, le fait de parler sans cesse le fatiguait, comme s’il forçait constamment sur sa voix cassée. Il ne parlait quasiment jamais de ses souffrances physiques, mais elles étaient bien là. Il y avait aussi toutes les afflictions intérieures dues notamment à ce que vivait la Communauté. Il se confiait parfois de ces choses dans les rencontres personnelles, et il arrivait qu’on voie sur son visage, par exemple sur certaines photos, combien il portait lourd…

Cependant, c’est toujours la joie qui a dominé dans sa vie, jusqu’au bout, une joie surnaturelle, plus profonde et plus forte que tout ce qui pouvait être source de tristesse. Et c’est bien ce qu’il voulait que nous vivions, nous aussi ; il l’a dit souvent, notamment dans la « Charte de charité ». Il voyait combien c’est difficile pour nous de garder cette joie, et il nous y a exhorté constamment, par ses paroles et son exemple.

Extrait du p MD Philippe sur la consécration de la Vierge Marie

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La consécration de Marie

Se consacrer à Dieu, c’est devenir semblable à Dieu; or Dieu est amour. La consécration virginale implique donc un cœur grand et magnanime, royal, puisque c’est l’écho de la jalousie de Dieu et que la jalousie de Dieu est royale. C’est ce qui fait comprendre comment le mystère de la virginité de Marie implique la fécondité. C’est évidemment de la part de Dieu une grâce purement gratuite que de donner à Marie cette fécondité; mais la virginité préparait, appelait cette fécondité, et c’est pour cela que la Tradition dit que Marie est vierge dans la conception de son Fils, vierge dans l’enfantement et vierge après l’en­fantement, pour nous faire comprendre que tout le mystère de la fécondité maternelle de Marie est enveloppé par le mystère de sa virginité. La virginité enveloppe la maternité, parce que la virginité est source d’amour, de plénitude d’amour.

Père Marie-Dominique Philippe, « L’Etoile du Matin »

Extrait du p. MD Philippe sur les trois degrés de vie

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Introduction à la philosophie d’Aristote

Les trois degrés de vie

Il ne suffit pas à Aristote de traiter de l’âme comme principe radical de vie. Il veut encore préciser l’ordre qui existe dans la diversité des opérations vitales de l’âme. De fait, on constate de multiples activités vitales chez l’homme. Mais seules les activités nutritives, sensitives et rationnelles permettent au philosophe de déceler divers degrés de vie, et même diverses espèces de vivants, car c’est seulement entre ces diverses activités qu’existent des différences essentielles, du point de vue proprement vital. (…)

Le vivant de vie intellective, l’homme, possède donc nécessairement toutes les puissances et toutes les opérations des divers degrés de vie inférieurs, qui se trouvent réalisés en lui, selon un ordre harmonieux, parfait. C’est pourquoi l’homme apparaît comme le vivant parfait parmi les vivants corruptibles ; il apparaît comme modèle de toutes les autres : « Tous les vivants, en dehors de l’homme, sont des nains ». Ils sont comme des ébauches qui attendent autre chose de plus définitif, de plus achevé.

Père Marie-Dominique Philippe, « Introduction à la philosophie d’Aristote »

Extrait du p. MD Philippe: l’âme, finalité du vivant

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Introduction à la philosophie d’Aristote

L’âme, fin du vivant

Grâce à l’âme, le vivant possède en quelque sorte en lui-même sa propre fin, puisque, par elle, il peut s’assimiler tout ce qui peut l’achever et le compléter. L’âme, en effet, n’est pas proprement principe d’opération finalisée par une oeuvre extrinsèque, mais d’opération vitale demeurant dans le vivant et finalisée par lui. Si l’âme meut le vivant vers son bien connaturel, c’est pour lui permettre de se l’approprier le plus totalement possible, de le devenir d’une manière ou d’une autre, et par là de ne plus faire qu’un avec lui. Par là, elle est vraiment fin des opérations vitales.

Père Marie-Dominique Philippe, « Introduction à la philosophie d’Aristote »

Témoignage du p. Jean Christophe sur le p. MD Philippe : son esprit (partie 3)

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La sagesse de la Croix : il en a beaucoup parlé, et il l’a notamment mise au cœur de la « Charte de Charité » de la Communauté Saint-Jean. Au début de la dernière retraite de Communauté qu’il a prêchée à Saint-Jodard, moins d’un an avant sa mort, en novembre 2005, au moment où nous fêtions les 30 ans de la Communauté, il a posé avec force la question : « Que reste-t-il après 30 ans ? » Et la réponse est venue un peu comme un cri jaillissant du plus profond de lui-même : « La sagesse de la Croix ! » C’était tellement ce qu’il vivait réellement, au quotidien. Pour lui, cette sagesse de la Croix, même si elle impliquait la souffrance, était cependant avant tout « gloire » (cf. Jn17), « grande victoire de l’Amour » (cf. Ap 19). « La Croix est sagesse en tant qu’elle est manifestation de l’Amour divin. » Nous, nous avons souvent beaucoup de mal à saisir cette exigence de l’amour divin, et à en vivre…

L’espérance et la jeunesse : on sentait en lui une espérance invincible en toute circonstance. Souvent il encourageait à « aller toujours plus loin », et comme il l’a dit aux frères à Taïwan en 2000 : « Notre devise c’est : toujours plus ! » Et aussi : « Ne pas perdre de temps ». En chapitre à Rimont vers la fin de sa vie, il disait un jour : « Priez pour moi, pour que je ne perde pas de temps, mais que j’aille jusqu’au bout… » Il ne s’agissait pas  d’optimisme naturel ou d’enthousiasme humain mais de véritable espérance théologale, qui ne s’appuie que sur Dieu et ne désire que Dieu. Il nous rappelait souvent que « l’Apocalypse » de Saint Jean est le « livre de l’espérance », et que c’est « l’accomplissement de la volonté du Père » qui fait grandir notre espérance. Voici une histoire racontée par un frère : le père Marie-Dominique reçoit un coup de téléphone pendant un entretien avec ce frère, et s’effondre progressivement sur son siège… il finit par raccrocher, semblant terrassé par ce qu’il vient d’entendre, puis se redresse en disant : « Mais qu’est-ce que ça fait tout ça ? le Christ est ressuscité ! » Et il reprend sa conversation.

C’est sans doute cette espérance qui lui donnait une jeunesse de cœur incroyable, nous disions qu’il était le plus jeune d’entre nous ; il semblait toujours prêt à rebondir pour aller plus loin dans la course de géant qui l’emportait vers le Ciel.

La personne humaine : le père Philippe a beaucoup réfléchi sur la personne humaine en philosophie, spécialement du point de vue métaphysique, et il voulait que nous comprenions l’importance de cette recherche. Pour lui, la métaphysique n’était pas quelque chose d’abstrait (ce que nous avons souvent du mal à comprendre…), c’était le regard humain le plus profond sur la réalité. C’est pourquoi cette connaissance métaphysique, unie à sa foi et à sa charité, lui permettait d’avoir un regard si pénétrant sur chaque personne qu’il rencontrait dans sa vie quotidienne, non pas le regard de « la psychologie des profondeurs », mais un regard qui atteignait l’être profond et unique de chacun, la bonté profonde de chacun, et qui lui permettait d’être si présent, d’avoir une telle attention aimante à tous ceux qu’il rencontrait, même pour la première fois.

D’autre part, du point de vue théologique, il en est venu à penser que Saint Thomas d’Aquin n’était pas le thélogien de la nature, comme on le dit souvent, mais plutôt le thélogien de la personne.

Parce que la Vierge Marie est la personne humaine la plus parfaite, sa connaissance métaphysique de la personne a aussi permis au père de parler d’Elle avec une profondeur unique. Et c’est bien ce que le père Dehau lui avait dit : « Tu dois faire de la métaphysique pour bien parler de la Sainte Vierge. »

Cette « métaphysique de la personne » l’a sûrement aussi beaucoup aidé à avoir un très grand sens de la charité fraternelle et de l’amitié.

La charité fraternelle et la miséricorde : il ne se contentait pas de nous exhorter souvent à la charité fraternelle, d’abord entre nous et à l’intérieur de la Famille Saint Jean, mais il était aussi pour nous un témoin infatigable du don total de soi à ses frères et à tous. Il nous accueillait très chaleureusement à chaque fois que nous allions frapper à sa porte ou que nous l’attrapions dans un couloir, sauf s’il était déjà pris impérativement par autre chose, alors il nous demandait d’essayer de repasser à un autre moment, mais ne manifestait jamais d’impatience ou de lassitude qui aurait pu nous retenir d’aller le voir. Il lui arrivait parfois de passer beaucoup de temps avec des personnes qui demandaient souvent à le voir… En bref, il manifestait une inépuisable charité à l’égard de toutes les personnes qu’il rencontrait, il était pour nous un témoin inlassable de la miséricorde infinie du Père…et il voulait que nous entrions dans cette folie de la miséricorde « du Coeur blessé de l’Agneau ». 

 Le 8 décembre 2000, à l’occasion du Jubilée des 25 ans de la Famille Saint-Jean à Paray-le-Monial, il est intervenu à la fin de la liturgie de demande de pardon, pour dire qu’on avait oublié le plus important : demander pardon pour nos manques de charité fraternelle ! Et il s’est mis à pleurer devant toute l’assemblée sur nos manques de charité fraternelle… Ce fut pour moi un moment bouleversant, inoubliable…

Il nous rappelait souvent que nous ne devions jamais dire du mal de nos frères devant des personnes de l’extérieur. Je crois que dans son cœur il n’y avait que charité pour tous et une très grande confiance en nous, et que c’est pour cela qu’il se permettait parfois de relever les imperfections de nos frères. Vers la fin de sa vie, il a dit à un frère : « On s’aime comme des robots dans cette Communauté ! » Nous sommes loin d’être à la hauteur de ce qu’il attendait de nous dans ce domaine…

L’amitié : il en a beaucoup parlé en philosophie, non seulement en éthique, mais aussi comme une voie de découverte de l’Être Premier, et il en a beaucoup vécu. Il disait facilement de telle ou telle personne qu’il avait connue que c’était un ami, ou qu’ils s’aimaient beaucoup. Ceci est lié à toute sa recherche sur la personne. Il disait souvent : « L’Eglise est un tissu de relations personnelles » Et quand je le voyais personnellement, j’avais parfois l’impression que ce qui l’intéressait le plus c’était que je lui parle de mon amitié avec telle personne. Cependant, l’amitié était pour lui quelque chose de si profond et élevé qu’il rappelait parfois que les vraies amités, profondes, sont rares. C’était sans doute pour nous mettre en garde contre le danger de ramener l’amitié à une relation sensible et superficielle, ce que nous faisons facilement…

En même temps, il était affectueux et donnait souvent des marques d’affection dans les relations personnelles, comme de nous serrer les mains. Il rappelait souvent : « L’insensibilité est le pire des vices. Il n’y a rien de pire qu’un curé rationaliste ! » Au sujet de l’exercice de l’amitié, il nous mettait en garde : « Il faut distinguer la tendresse sensible et la tendresse sexuelle, il y a une tendresse qui n’est pas sexuelle. La charité peut tout assumer, sauf l’aspect sexuel. » Et quand je lui ai posé un jour des questions très concrètes sur les gestes de l’amour dans l’amitié, j’ai constaté qu’il était très prudent, demandant d’éviter les gestes qui pourraient être imprudents pour la chasteté. Et il insistait beaucoup sur la pauvreté dans l’amitié : « L’important c’est d’être pauvre, de tout remettre à la Très Sainte Vierge, elle a donné gratuitement, elle peut le reprendre quand elle veut. » Et dans une des dernières retraites de Communauté à Rimont, il a fait presque toute une conférence sur la vraie place de l’amitié dans la vie religieuse, rappelant une fois de plus que, pour nous religieux, elle est évidemment totalement relative à notre consécration à Dieu.

Esprit de virginité : sans négliger, évidemment, les exigences du voeux de chasteté propre à la vie religieuse, le père préférait plutôt nous parler de « l’esprit de virginité », désir de donner tout notre coeur et toute notre personne à Dieu, en réponse à son « amour jaloux » pour nous. C’est cet esprit de virginité qui nous permet de vivre joyeusement dans la chasteté. Il nous mettait souvent en garde contre la tentation de devenir « un vieux garçon » ou « une vieille fille », tout replié sur soi-même, caricature du voeux de chasteté. Un religieux n’est pas quelqu’un qui a peur d’aimer ou cherche à se protéger, mais au contraire quelqu’un qui aime de plus en plus comme Jésus aime, car il est de plus en plus proche de Celui qui est Amour et Source de tout amour.  

Témoignage du p. Jean Christophe sur le p. MD Philippe : son esprit (partie 2)

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« NOUS SOMMES FAITS POUR AIMER ! » Le père n’a cessé de nous parler de l’amour, en philosophie et en théologie. « La grande misère d’aujourd’hui, c’est qu’on ne sait plus aimer ». C’est pourquoi, je crois qu’il a cherché par-dessus tout à nous apprendre, par ses paroles et ses actes, la vérité de l’amour, aussi bien de l’amour humain que de l’amour divin. Dans le livre « Suivre l’Agneau », il écrit : « D’une certaine manière, Dieu est plus Amour que Lumière ». Et dans une homélie magnifique donnée à Rome en 2006, il insistait avec force : « On veut AIMER ! » D’autre part, toute sa vie au milieu de nous exprimait cet esprit qui l’habitait : le primat de l’amour et de la soif d’aimer.

Être fils de Jean : il désirait ardemment l’être, et il l’était éminemment, pas d’une manière imaginative ou romantique, mais très profondément ; et il voulait que nous comprenions tous que c’est la grâce que le Seigneur voulait donner à la Communauté Saint-Jean. Il le disait souvent : « Si je désire qu’il demeure… » (Jn 21, 22). Je  me souviens de sa joie quand je lui ai dit un jour que je l’avais compris : « Oui, c’est ça ! » Et il voulait qu’on soit « fidèles jusqu’au bout » (expression qui revenait souvent) à cet appel de Jésus sur nous. Et cet appel c’est fondamentalement de « suivre l’Agneau partout où il va… » (Ap 14, 4) Au moment de la crise de 2001, il m’a dit en privé : « On voudrait se faire un nom, être comme les autres… Mais non ! Acceptons d’être différents, de ne pas avoir de renommée, soyons ce que Dieu veut pour nous. »

La contemplation : parce qu’une des caractéristiques principales de Saint Jean est d’être un contemplatif, le père nous rappelait souvent que « la soif de contemplation » doit être le coeur de notre vie. Lui-même ne passait pas de nombreuses heures chaque jour en oraison, il était trop donné à tous ceux qui avaient besoin de lui, mais on le sentait habité, totalement saisi intérieurement par cette soif de Dieu. Comme l’a bien dit un des premiers frères de la communauté : « Pour moi, le père c’était d’abord un contemplatif. »

Je me souviens qu’à St-Jodard il donnait, plus ou moins régulièrement, des enseignements sur l’oraison, et il prêchait souvent sur le cri de soif de Jésus. « Celui qui dit qu’il n’est pas fait pour l’oraison, n’est pas fait non plus pour la vie apostolique. Être fidèle au petit temps d’oraison de chaque jour. » Il nous rappelait souvent que nous n’étions pas bénédictins, et que pour nous ce n’est pas la liturgie qui est première, mais la contemplation : « Si Communauté Saint-Jean existe, c’est pour maintenir la contemplation dans l’Eglise, et une contemplation doctrinale ». Cette contemplation, vécue dans une amitié intime avec le Christ, est une participation au regard brûlant d’amour que Jésus, Verbe de Dieu et Fils bien-aimé, porte sur son Père.

Le désir : il citait souvent Sainte Catherine de Sienne : ce qui est le plus important aux yeux de Dieu c’est notre désir. Il nous rappelait sans cesse que Jésus regarde d’abord notre désir, les intentions de notre cœur. Il répétait souvent (sans doute parce qu’il voyait bien que nous avions cette tentation) : « Ne regarder que les résultats, c’est du positivisme ». Il me dit un jour en privé : « La sainteté chrétienne est dans le désir. Nous devons comprendre que les désirs sont plus que la réalité »

Etre mû par le Paraclet : pour lui, c’était quelque chose d’essentiel et de très concret. Un frère proche de lui a raconté qu’il arrivait parfois au père de dire tout d’un coup, alors que tout était prévu et qu’on s’apprêtait à partir : « Non, ce n’est pas ça qu’il faut faire… », et de changer tout le programme. Et il a écrit clairement dans la « Charte de charité » de la Famille Saint-Jean combien c’était important pour nous d’être dociles au Paraclet.

Concrètement, c’est à travers notre conscience que l’Esprit-Saint nous parle, et quand quelqu’un disait : « en conscience, je… » il se mettait parfois en colère : « Mais tout ce que nous faisons doit être fait en conscience ! »

Marie : elle est, sans aucun doute, un des grands secrets de son cœur. Il est né un 8 septembre, Fête de la Nativité de la Vierge Marie, et le 26 août, date de sa mort, est aussi une fête de Marie. Toute sa vie est enveloppée par elle, il a beaucoup parlé d’elle, écrit sur elle, et surtout il s’est totalement consacré à elle, comme un tout petit enfant (cf. sa prière écrite le 8 septembre 2002), et il nous a toujours invités à faire la même chose. Dans la « Charte de charité », il a écrit que c’est « en recevant Marie de Jésus crucifié, à la manière de notre père Saint Jean », que nous comprendrons toujours plus l’appel de Dieu sur nous. » Cette alliance avec Marie est donc quelque chose d’absolument essentiel pour lui. Il fait sûrement partie des apôtres des derniers temps dont a parlé Saint Louis-Marie de Montfort, et nous sommes invités par l’Esprit-Saint à le devenir aussi.

L’adoration et l’abandon: il nous renvoyait sans cesse à l’adoration, comme le fondement de notre vie chrétienne et de la vie religieuse. Une année, il en avait fait le thème principal de la retraite de Communauté. C’est sans aucun doute quelque chose qui est caractéristique de son esprit. Cela est peut-être lié au fait qu’il était philosophe ; en effet, la découverte philosophique de l’Être Premier Créateur donne au philosophe un sens éminent que l’adoration est fondamentale dans la vie de l’homme.

Et l’adoration conduit à « l’abandon » de soi-même entre les mains de Dieu, non pas un « abandon psychologique », qui consiste à se laisser aller en attendant que tout nous tombe du Ciel, mais un « abandon divin », qui consiste à coopérer le mieux possible à l’oeuvre de Dieu en nous, en cherchant de toutes nos forces à faire sa volonté, car c’est uniquement en cherchant à « faire pleinement le bon plaisir du Père », comme il le répétait souvent, que nous nous abandonnons réellement à sa conduite sur nous.

Le primat de la finalité : c’est de toute évidence un des axes principaux de son esprit et de la formation qu’il nous a donnée : regarder toujours la finalité, avant tout, dans tout ce que nous vivons et faisons : en vue de quoi ? Car seule la finalité permet d’avoir la compréhension ultime de la réalité : ce en vue de quoi elle est. Il me dit un jour en privé : « On n’a rien fait que mettre en pleine lumière la finalité, mais ça change tout, non seulement en philosophie mais aussi en théologie ». Il insistait pour que nous comprenions que, contrairement à une opinion répandue, la causalité finale n’est pas une cause « métaphorique » mais réelle. Tout en étant tellement déterminé par rapport à la finalité, il avait cependant une souplesse quasi infinie dans l’ordre des moyens, il était prêt à tout…

Le primat des vertus théologales : cela aussi est au coeur de la formation qu’il nous a donnée. Il n’a cessé de nous rappeler, notamment pour le renouveau de vie religieuse, que la vie chrétienne n’est pas d’abord une vie morale humaine, même si elle demande évidemment que nous fassions l’effort d’acquérir toutes les vertus morales. Il disait que les hommes d’aujourd’hui sont tellement abîmés et fragiles qu’il faut tout reprendre par le haut, c’est-à-dire par ces vertus « théologales » qui nous sont données gratuitement par Dieu et nous orientent directement vers Lui. Et ce sont elles qui transformeront progressivement toute la « pâte humaine ». Il n’était jamais moralisant, il avait toujours un regard de foi, d’espérance et d’amour divin. Cependant, il lui est arrivé de dire : « On n’insiste peut-être pas assez sur les vertus morales… »