Homélie du p. MD Philippe, 8 août 1988

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Homélie du 8 août 1988 (saint Dominique)
On ne peut pas être apôtre si on n’est pas contemplatif

Lc 9, 57-62

Demandons aujourd’hui à saint Dominique de nous apprendre à être de vrais apôtres du Christ. Il l’a été pleinement parce qu’il a compris qu’il fallait cette pauvreté radicale, celle que l’Evangile d’aujourd’hui nous rappelle, que Jésus lui-même nous enseigne : « les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête ». C’est cette pauvreté-là que Jésus réclame de ses apôtres, ceux qui veulent le suivre jusqu’au bout, jusqu’à la Croix. Ne plus rien garder pour soi et dépendre à chaque instant de la Providence, aussi bien pour le bien temporel que pour le bien spirituel — la pauvreté du cœur.

Etre dans cette totale dépendance, je crois que c’est ce que saint Dominique a compris de la manière la plus profonde. Il savait bien que pour être pauvre jusque-là, il fallait un très grand amour de Jésus, un très grand amour de Marie, une docilité totale à l’Esprit Saint. Pour être un disciple de Jésus il faut être comme lui : tout entier tourné vers le Père dans une très grande soif de contemplation. On ne peut pas être apôtre si on n’est pas contemplatif, c’est-à-dire si on n’a pas dans le cœur une très grande soif de ne regarder que le Père et d’être fils bien-aimé du Père. C’est cela que Jésus est venu nous enseigner en premier lieu. La pauvreté est une conséquence ; on ne cherche pas la pauvreté pour elle-même, on cherche l’amour. Et cet amour filial, cet amour de fils bien-aimé à l’égard du Père, est bien ce qu’on doit chercher par-dessus tout pour être des apôtres, des témoins de Jésus dans le monde d’aujourd’hui. La vie apostolique est un témoignage, un témoignage de vie. Paul VI nous l’a rappelé avec beaucoup de force : dans un monde qui se matérialise, qui se paganise, dans une culture qui est si loin de l’Evangile parce qu’elle ne regarde que l’efficacité, il faut être en premier lieu des témoins vivants du Christ. Et pour être des témoins vivants de Jésus, il faut vivre de ce mystère de filiation à l’égard du Père, il faut entrer pleinement dans ce secret qui habite le cœur de Jésus, qui est le secret du Christ : il est le Fils bien-aimé en qui le Père a mis toutes ses complaisances.

Il faut que nous soyons tous des enfants bien-aimés du Père, et pour être des enfants bien-aimés du Père il faut le regarder, le contempler, recevoir ses secrets, vivre de ses secrets, comprendre que le Père nous introduit au plus intime de son mystère — in sinu Patris —, entrer dans cette intimité avec le Père, cette intimité d’amour et cette intimité dans la recherche de la vérité. Quand on aime quelqu’un on veut s’approcher le plus possible de lui, on veut le connaître pour pouvoir l’aimer pleinement. Toute erreur consentie, acceptée, arrête le développement de l’amour, empêche l’amour d’aller jusqu’au bout.

Il faut comprendre qu’entrer dans cette filiation à l’égard du Père réclame une recherche de la lumière, de la vérité. Saint Dominique a tellement bien compris cela ! Il a compris qu’il fallait rejeter de notre cœur, et de nos paroles, et de nos gestes, tout mensonge, pour que la lumière divine — celle du Verbe de Dieu — puisse prendre possession de ce qu’il y a de plus intime en nous, de toute notre intelligence, de tout notre esprit, et que nous ayons soif d’aller toujours plus loin, de ne jamais nous arrêter, de ne jamais considérer que « c’est suffisant ». Dans l’ordre de la vérité et de la lumière il n’y pas de « c’est suffisant » ; il faut toujours avoir soif d’aller plus loin pour que l’amour puisse tout prendre. Etre fils bien-aimé du Père, c’est justement avoir cette soif que l’amour prenne tout. Le Père est Amour, et le Fils est Amour, et il est Amour comme Fils. Et il faut que nous soyons, nous aussi, à la suite du Fils bien-aimé, des enfants d’amour recevant tout du Père, par Jésus, et lui donnant tout, sans rien garder pour nous, pour que cet amour que nous avons reçu soit tout le temps remis au cœur de Jésus et au Père, puisque dès que nous accaparons l’amour de Dieu, ce n’est plus l’amour de Dieu. Il faut le recevoir gratuitement et le donner gratuitement ; il faut qu’il nous prenne jusqu’au bout pour que nous soyons nous-mêmes totalement donnés.

Demandons aujourd’hui à saint Dominique de nous donner cette très grande soif de lumière et de vérité pour que nous puissions aller toujours plus loin dans cette capacité de recevoir l’amour du Père en enfants bien-aimés, et que nous soyons capables de tout lui donner sans rien garder pour nous, en maintenant en nous cette pauvreté pour que l’amour soit tout dans notre cœur. Alors nous serons des témoins, des témoins du Père qui est Amour, du Fils qui est Amour, et de l’Esprit qui est Amour ; nous le serons pour entrer jusqu’au bout dans cette exigence de l’amour, et en vivre. Si Dieu nous demande le silence, nous serons des témoins silencieux ; et s’il nous le demande, nous serons des témoins qui témoigneront de la manière la plus simple et la plus aimante, par la parole et par toute leur vie, du mystère de l’amour du Père pour le Fils et du Fils pour le Père, amour dont le monde d’aujourd’hui a tellement soif !

Demandons cette grâce à la Vierge Marie, et que notre recherche de la vérité soit tout entière en vue d’un amour plus vrai, plus profond, pour Jésus et pour le Père, et pour nos frères.

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